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Mon allocution du 1er août 2005

Allocution du 1er août 2005 par la fondatrice de Planetpositive dans le Val d'Anniviers, à Vissoie.

 « J'ai trois raisons de remercier Monsieur Frédéric Pellaz, Président de la Société de Développement de Vissoie de même que les membres de son Comité qui m'ont invitée à prendre la parole en ce 1er août:

Merci de donner la parole à une femme, merci d'offrir une tribune à une confédérée « étrangère », une « amoüche » comme on dit en patois valaisan, (vaudoise) et enfin, merci de faire confiance à une citoyenne qui n'a jamais fait de politique !

J'aimerais aussi remercier les habitants de Pinsec qui m'ont accueillie les bras ouverts et leur dire combien je suis heureuse de vivre dans ce petit village où je trouve le recul et l'inspiration pour mener la cause dont je vais vous parler. Je suis entourée de voisins généreux qui arrosent mes fleurs pendant que je suis en mission humanitaire ou qui m'offrent du bon miel anniviard pour m'apporter un peu de douceur à mon retour?Leur bienveillance ici m'a permis de servir là-bas?au chevet de la souffrance et même ici, quand c'est nécessaire.

Je suis très honorée de prendre la parole aujourd'hui pour tenter de jeter, en toute modestie, une passerelle entre nous, petit peuple de Suisse auquel je suis tant attachée et les autres citoyens du monde? là-bas, derrière ces cimes, au-delà des frontières du Val d'Anniviers, de Suisse et d'Europe.

Notre fête nationale nous rappelle, chaque année depuis plus de 700 ans, que nous appartenons à une famille helvétique soudée, que nous partageons les mêmes valeurs confédérales de solidarité, de paix et de justice. Les sondages démontrent que nous sommes un peuple privilégié et plutôt heureux, un îlot harmonieux de cohabitation interculturelle au milieu d'un monde de plus en plus perturbé. Comme l'énonce le pacte de 1291, « ?les hommes de la vallée d'Uri, la communauté de Schwytz et celle des hommes de la vallée inférieure d'Unterwald, se sont engagés? à s'assister mutuellement, s'aider, se conseiller, se rendre service de tout leur pouvoir et de tous leurs efforts, dans leurs vallées et au dehors? »

Au dehors? C'est justement de cet ailleurs que j'aimerais maintenant vous parler?

Pour avoir voyagé dans le monde entier comme journaliste et déléguée du CICR, pour avoir serré des milliers de mains, blanche, noires, juives, musulmanes, catholiques, propres ou sales, décharnées ou grasses, corrompues ou sincères, j'aimerais vous dire ceci. Et je vous le dis sur la base d'un vécu et d'une expérience personnelle; je ne l'ai pas lu dans les livres. Je suis sortie de mon salon et j'ai été voir?

J'aimerais vous dire que j'ai rencontré beaucoup plus gens exemplaires, respectueux, tolérants et honnêtes que de voyous. Chaque fois que je me suis trouvée au milieu d'une crise, de Bagdad à Bam, en passant par le Kosovo ou l'Ethiopie, j'étais été impressionnée par la masse d'élans de solidarité et d'appels au calme pour répondre à des actes brutaux minoritaires. Et pourtant, c'est toujours sur les auteurs de la violence que se portent les regards de la presse. Je vivais sur le terrain une situation racontée de manière très différente sur la TSR, CNN ou TF1. Je ne reconnaissais rien de ce dont j'avais été témoin et ça m'a mise plusieurs fois très en colère. En zoomant sur la haine, on ne fait qu'agrandir l'incompréhension, le rejet et le goût de la vengeance.

Les médias nous rapportent principalement une seule réalité du monde : celle qui nous révolte, nous angoisse et nous décourage. Parce que, disent-ils, le choc fait vendre. Mais ont-ils essayé de vendre du choc positif ? Ils racontent les histoires de ceux qui tuent, qui offensent ou qui salissent. Ils ont raison, c'est une facette de la réalité et dans une certaine mesure, ils contribuent à prévenir l'injustice en la dénonçant. Mais à force de donner l'avantage aux histoires tristes et médiocres, la presse banalise la violence, nous y accoutume passivement et nous désespère. Et les belles histoires, celles qui nous honorent, n'ont droit qu'à une brève en bas de page.

Pourquoi donc saluent-t-ils si peu ceux qui résistent à l'engrenage de la violence ? Pourquoi ne publient-ils pas en contrepartie les plus beaux échos de la planète ? Ma cause s'inscrit dans la promotion de l'égalité des nouvelles positives et négatives. Et c'est pour rétablir un certain équilibre de l'information que j'ai crée un site de nouvelles positives. Car le véritable courage est du côté de ceux qui montrent l'exemple et se tiennent droits dans l'adversité, envers et contre tout: n'est-il pas plus courageux de se relever après un drame et d'empoigner des solutions que de se laisser abattre, de se résigner et de se replier dans ses peurs, ses préjugés et dans un conformisme pratique?

Dans tous les conflits dont j'ai été témoin, j'ai vu des ennemis se porter secours, des couples de confessions mixtes se marier alors que la politique les invitait à se haïr. J'ai rencontré des prisonniers de guerre devenir des ambassadeurs de la paix après avoir été séquestrés et maltraités. J'ai vu tant de gens ordinaires extraordinaires?
Et ils sont la majorité. Une majorité silencieuse puisque personne n'en fait l'écho et qu'ils ne se vantent pas de leur héroïsme. Un vrai journaliste ne doit pas seulement attendre que le sang coule devant sa porte. Son devoir consiste aussi à faire l'effort d'aller chercher la beauté où elle se trouve. Il contribuerait ainsi à nous réconcilier avec l'image que nous avons de nous et des autres. En outre, il nous donnerait l'envie de participer activement au progrès de l'humanité.

Nous sommes beaucoup plus nombreux que vous le pensez à vouloir résister à la routine du tragique, à vouloir retrouver des repères qui nous aident à devenir meilleurs. Nous ne devons pas perdre de vue les grands hommes et femmes de l'Histoire qui nous ont inspirés et qui nous inspirent encore, qu'ils soient célèbres ou anonymes. En diffusant de beaux exemples d'humanité, on est inspiré soi-même à devenir un modèle pour les autres.

Personnellement, je crois plus que jamais au pouvoir des gens ordinaires, comme vous et moi, qui veulent lever le nez de leurs chaussures pour regarder les étoiles. Notre volonté, notre engagement et notre espoir sont plus forts que tous les gouvernements du monde. Il suffit simplement de ne pas avoir peur, de ne pas démissionner. Ne pas craindre les différences, d'être différent, ni de s'exposer ou de prendre des risques.

Je pense que la vie n'a aucune valeur sans la grandeur et le panache que l'on tente d'y mettre. Et la qualité de vie que nous connaissons dans notre pays nous donne une liberté d'action impensable sous d'autres latitudes. Les valeurs de solidarité et d'entraide que nous rappelle le 1er août devraient nous redonner l'envie de nous surpasser, de retrouver en nous et chez les autres les plus belles références. Ici, de Pinsec à Vissoie, dans nos villages, dans nos vallée, en Suisse puis en dehors?.

La somme de nos volontés peut engendrer un océan d'espoir. L'addition de ces contrats intérieurs, avec plus de responsabilisation de nos actes et plus d'engagements pour nous élever à hauteur d'homme avec un grand H, a plus de pouvoir qu'une armée de chars. Il est urgent de signer au plus vite ce pacte éthique avec nous-même. Sinon, quel monde allons-nous laisser à nos enfants?

Mesdames et messieurs, ce n'est pas tout de rêver en silence. Pour concrétiser nos défis les plus beaux, il faut réveiller la fanfare ! »

Isabelle Alexandrine Bourgeois